mercredi 20 mai 2009

Ségolène Royal à Athènes


Le texte :

A l'occasion de la conférence sur "l'avenir des gauches en Europe",
à Athènes, le 12 mai 2009

 

Monsieur le Président du PASOK et Président de l’Internationale socialiste, Cher George Papandreou,
Messieurs les Premiers ministres, Cher Massimo d’Alema, Cher Felipe Gonzalez,
Mesdames et messieurs les ministres et les députés,
Chers amis, chers camarades,


Permettez-moi tout d’abord de vous dire la joie que j’éprouve de revenir à Athènes. J’étais ici au Mégaron à l’automne dernier pour débattre sur la crise financière, à l’invitation de Christos LAMBRAKIS, que je salue très chaleureusement, et de Jean MANOS, que je remercie tout particulièrement.

Je garde de ce séjour un souvenir formidable, lié à la qualité de notre dialogue et des rencontres politiques et culturelles. J’en ai retiré, face au Parthénon, les plus belles pages de méditation politique de mon livre "Femme Debout", écrit avec Françoise Degois.


Entre nos Nations et le monde, l’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. Or nos peuples n’ont plus guère confiance en elle, et c’est cette confiance qu’il faut rebâtir, sur d’autres bases pour qu’elle ne soit plus regardée comme, au pire la complice du capitalisme sans foi ni loi qui est à l’origine du désastre humain d’aujourd’hui, au moins pire comme une entité lointaine, et peu démocratique.


Et pourtant, nos peuples savent aussi exprimer un besoin d’Europe. L’idée d’Europe est en hausse dans toutes les enquêtes d’opinion à partir de deux idées simples :
- "à plusieurs nous sommes plus forts",
- "nous avons besoin de protection".


Deux attentes simples, claires, que l’on peut traduire par :
- le refus du chacun pour soi,
- la soif de solidarité.

Qui peut dire que ce ne sont pas là des valeurs de gauche ?

Disons-le sans détour et sans complaisance à l’égard de nous-même, pour bien prendre la mesure du défi à relever et de la responsabilité qui est  la nôtre, à gauche.


Oui, disons-le sans détour, nous vivons un paradoxe inquiétant mais aussi plein d’espoir si nous sommes à la hauteur de notre tâche. Quel est-il ?
Tout devrait réussir à la gauche européenne. La faillite de Wall Street et la crise financière mondiale ont entraîné la condamnation du libéralisme et ont fait place à des demandes que la gauche a toujours défendues : le besoin d’Etat, la demande de protection sociale, des règles financières réelles, la nécessité de mettre la finance au service de l’économie et l’économie au service du progrès humain.

Bref, concevoir et réaliser ce que j’ai appelé, et qui n’a jamais été autant d’actualité, un ordre juste économique, social et écologique.


Seulement voilà, les droites au pouvoir ont aussi compris cette mutation. Et après avoir, comme en France, promis les ruptures libérales et même affirmé leur admiration du système des prêts hypothécaires de l’administration Bush, les droites retournent leur veste et reprennent sans vergogne le vocabulaire de la gauche, sans changer pour autant de politique : mollesse dans la régulation d’un système bancaire qui n’en fait toujours qu’à sa tête, injustice fiscale insolente qui perdure, des services publics en détresse comme l’enseignement supérieur , l’hôpital, la culture et la recherche.


Et enfin – et la liste n’est pas close – une timidité coupable dans les politiques de développement durable alors que le réchauffement planétaire s’accélère et qu’il y a, dans la croissance verte, la clé d’un combat victorieux contre la désindustrialisation de l’Europe qui jette à la rue des dizaines de milliers d’ouvriers victimes.

Victimes d’une absence de clairvoyance et de volonté pour anticiper les mutations porteuses d’avenir : énergies renouvelables, transports propres, habitat durable, agriculture sans pesticide, protection et valorisation des ressources maritimes, valorisation des déchets, etc.

Et qui peut dire que les valeurs écologiques ne sont pas de gauche ? Elles le sont. Profondément.

Penser aux générations futures avant de penser à soi-même, partager un patrimoine que l’on sait limité, réparer ce qui a été détruit par l’autre, économiser l’eau même si on la croit abondante, penser qu’à l’autre bout de la planète, des centaines de millions d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et que les guerres, les déplacements massifs de population viendront désormais de la lutte pour l’accès à l’eau potable. Oui, ces raisons et ces façons de faire et de penser sont passionnément de gauche.

Je crois profondément que nous pouvons vaincre l’ensauvagement du monde en transformant l’Europe pour en faire un modèle de civilisation. Ce mot-là aussi a été instrumentalisé, détourné, raison de plus pour ne pas le lâcher.

Il ne faut pas renoncer à cette ambition, car la crise que nous traversons est aussi morale, comme toute crise de civilisation.


Nous devons transformer l’Europe.
Appuyons-nous pour cela sur l’attente et l’impatience des peuples. Car nos peuples attendent l’Europe !

La crise a révélé notre communauté de destin. De Paris à Vilnius, de Stockholm à Athènes, il existe une fraternité de ceux qui souffrent et qui espèrent, une fraternité des peuples, et une "communauté des ébranlés"pour reprendre le beau et le puissant concept du philosophe Jan Patockà.
Notre devoir est là, à nous les gauches européennes, c’est la tâche historique de notre génération, au même titre que celle d’avant nous a fait l’élargissement et la réunification après la chute du mur, et que celle d’avant a fait l’Europe après les horreurs de la guerre.

Oui, la tâche historique de notre génération c’est de transformer les ébranlements, les basculements de notre époque pour construire, grâce à un désir d’avenir commun, une nouvelle harmonie humaine.
   
Et cette nouvelle harmonie, il faut l’imaginer dans un monde dans lequel l’hégémonie occidentale n’est plus. La globalisation marque en effet la fin du monopole que l’occident détient depuis la fin du XVIIème siècle sur l’histoire du monde.

Pour la première fois, le sud représente la moitié de la population mondiale. La Chine, l’Inde, l’Amérique latine  et la Russie assurent plus de la moitié de la croissance mondiale. En 2025, les pays émergents vont représenter 65% du PIB mondial.

Dans ce contexte, je pense, et je l’ai dit à Dakar récemment, que le partenariat entre l’Europe et l’Afrique constitue un choix géostratégique majeur pour peser dans le nouveau monde multipolaire qui se met en place, et dont nous ne devons pas rester des spectateurs inertes.

Et d’ailleurs, dans le cadre des Universités Populaires Participatives que j’ai créées avec mes amis, notamment Jean-Louis BIANCO ici présent, dans la continuité du livre écrit avec Alain TOURAINE "Si la gauche veut des idées" ; je vous invite à suivre sur le site Désirs d’Avenir la prochaine Université populaire sur "Afrique-Europe, quel partenariat", avec de nombreux intellectuels africains qui aura lieu le lundi 18 mai prochain à Paris.

Les peuples d’Europe nous attendent. C’est ainsi qu’il faut comprendre le message envoyé par la puissance des mouvements sociaux de salariés avant et pendant le premier mai, celui qu’ils feront entendre dans les manifestations européennes de Madrid après-demain le 14, de Bruxelles le 15, de Berlin et de Prague le 16 mai.

Nous devons leur dire un grand « oui ». Oui, la gauche européenne, comme vous, avec vous, est prête à porter le projet d’une Europe où les travailleurs européens ne seront plus en concurrence les uns contre les autres, mais solidaires les uns des autres pour arracher d’autres conquêtes sociales.
   
C’est pourquoi, la responsabilité historique des gauches européennes c’est de définir les raisons et les façons de cette « nouvelle civilisation ».

L’Europe doit aussi avoir les moyens d’agir. Prenons l’exemple du G20 de Londres, où de nouvelles règles financières ont été adoptées. Mais que deviendront ces avancées déjà bien insuffisantes, si en plus l’Europe ne dispose pas de la puissance pour les réaliser ?

Or, aujourd’hui, les raisons de l’échec de la gouvernance de la zone euro sont parfaitement identifiables. L’Union n’a pas de cadre institutionnel à la mesure du rôle qu’elle entend jouer : la Banque centrale européenne n’a aucune compétence en matière de supervision, les autorités de contrôles sont nationales, il n’y a pas de ministère des finances européen,  L’ECOFIN a renoncé à toute approche normative et n’est plus qu’un forum de discussion, et la zone euro n’est gérée que du point de vue de la politique monétaire. Il faut le dire clairement : à ce rythme, ce sont les Etats-Unis qui auront le leadership sur la réforme des réglementations.
   
Et malgré notre amitié pour Barack OBAMA et le rôle exemplaire de conciliateur qu’il a joué au G20 de Londres, nous devons assumer notre responsabilité car l’amitié n’empêche pas la volonté de maîtriser notre destin en partenariat intelligent et clairvoyant.

Au fond, il s’agit de réinventer les gauches pour réinventer l’Europe

Oui, je crois que nous sommes engagés dans une profonde mutation, ce  basculement des repères,  et  c’est  à nous, socialistes européens, de l’inventer, de l’accompagner et de la  faire vivre lorsque nous avons le pouvoir d’agir.

Je ne fais pas partie des déclinologues, de celles qui se lamentent en regardant la carte politique de l’Europe.


Mais le constat est là. Au fil de la décennie qui vient de s’écouler, nous avons assisté à l’impitoyable progression de cette droite décomplexée qui séduit en flattant ce qu’il y a de plus négatif dans la nature humaine :

l’individualisme là où nous, nous pensons qu’il ne peut y avoir  concorde civile que dans la cohésion sociale. 

l’avidité : boulimie  d’argent , de bénéfices, de stock options,  d’acquisitions, de pouvoir , de retraites chapeaux, de parachutes dorés :  là ou nous, nous pensons que le progrès social passe par le soutien  aux  entreprises  mais aussi   par  une redistribution plus juste. 

la brutalité : le plus fort écrase le plus faible, là où nous, nous pensons  qu’il faut avant tout rendre leur dignité humaine à ceux qui se sentent humiliés.

l’imposture : faire croire aux pauvres qu’ils peuvent devenir riches et aux classes moyennes qu’elles peuvent progresser alors que jamais le descenseur social n’a été aussi cruel.

Ce fut en France "le travailler plus pour gagner plus" auquel certains ont cru. Chaque jour, à Gandrange sur le site d’Arcelor Mittal ou à Clairoix chez les Continental, et bien d’autres endroits,  les salariés peuvent mesurer la portée des promesses de campagne.

Là où nous pensons, nous, qu’il existe des moyens de contraindre les patrons voyous à travers l’Europe  parce que la priorité, c’est la sauvegarde des emplois et la mise en place de parcours professionnels sécurisés , car nous pensons qu’il n’y a pas progrès social sans instauration d’un  véritable dialogue social . Nos amis d’Europe du Nord nous ont montré depuis longtemps le chemin.

le populisme : diviser , dresser certaines catégories les unes contre les autres , menacer, puis flatter. Là où nous, socialistes,  pensons que le respect de chacun, du citoyen au parlementaire d’opposition, du journaliste critique au salarié ou à l’étudiant en grève est une condition des réformes efficaces et rapides.
la démagogie : vider les mots de leur sens tout en préservant les privilèges fiscaux et clientélistes pour leurs amis. Là où nous socialistes pensons que les citoyens éclairés ont droit à un langage de vérité.
Les voilà les valeurs de cette droite décomplexée dite «  moderne » : individualisme, avidité, brutalité, imposture , populisme et démagogie.

A ce cynisme libéral, nous devons opposer la réconciliation sociale.

La tâche est difficile, mais parce que nos idées sont plus grandes que nous et que nous les servons, nous aurons la force de réussir.


La réconciliation sociale est un  vaste chantier. Je voudrais en donner quelques exemples :

- réconcilier le citoyen avec cette Europe qui semble si lointaine. Une Europe qui ne doit plus être étrangère à la souffrance de ses ouvriers, licenciés dans le flot des délocalisations, de ses cadres moyens, qui se demandent s’ils vont eux aussi préserver leur emploi, de cette jeunesse , frappée plus que tout autre catégorie par le chômage et par un mal plus pernicieux encore : l’impossibilité à imaginer le futur, « Je n’ai pas peur de l’avenir, j’ai peur de ne pas en avoir », me disait un jour un jeune que je n’oublierai jamais.
- réconcilier le citoyen avec les valeurs de progrès et d’humanisme de la gauche, c’est établir à l’échelle européenne la démocratie participative, l’implication dans la vie souvent perçue comme éclatée de cette Union à 27.
Redonnons tout simplement aux citoyens européens de nos pays  respectif le droit de prendre en main leur destin.

- Il faut aussi réconcilier la gauche avec la radicalité qui se développe partout en Europe.

Oui je crois qu’il faut se battre, donner de la voix, mener le rapport de force jusqu’au bout lorsqu’une situation est parfaitement injuste et qu’elle résulte d’un cynisme absolu de quelques prédateurs financiers.

En revanche, je crois qu’il faut tenir l’autre bout de la chaîne par une gouvernance qui garantisse des réformes justes : faire la réforme fiscale, développer l’emploi public, investir massivement dans la formation et le développement social, soutenir puissamment la croissance verte, aider les entreprises innovantes à se développer, réformer le dialogue social.
    Parce que nous sommes de gauche, nous avons aussi le devoir d’agir puissamment en faveur des jeunes , qui sont particulièrement frappés par le chômage en Europe ; cette jeunesse en colère qui , ici en Grèce, à manifesté avec tant de force son angoisse de demain.

     C’est à nous, socialistes européens, de mener ce  grand plan de lutte contre le chômage des jeunes,  véritable fléau qui frappe les 27 pays de l’Union.

- Réconcilier enfin de l’Europe avec le monde.

Qui peut définir aujourd’hui clairement le rôle de l’Europe dans les grands conflits ou les grands enjeux de notre temps ?  Quel rôle au Proche-Orient, en Irak, en Afghanistan ?Quel impact en Asie ? Quel lien avec la Chine ? Avec le Japon ? Quel rôle en Amérique Latine ou en Afrique  ?

L’Europe dont rêvait Victor Hugo, ces  « Etats Unis d’Europe »  qu’il évoqua pour la première fois  le 21 août 1849, lors du Congrès  International pour la Paix à Paris, ces Etats Unis d’Europe, faits de Fraternité, comme il le dit avec tant de force… ce rêve avance si lentement  et  l’Europe semble aujourd’hui politiquement disloquée. A l’intérieur de son espace géographique, entre ses peuples et dans son lien au monde.

Nous devons reprendre inlassablement l’ouvrage, avec courage, en nous remettant debout chaque fois que nous trébuchons, en gardant le cap.

Mes chers amis, mes chers camarades,

Je voudrais conclure en vous confiant ma conviction profonde, en tant que femme  française , socialiste, européenne et citoyenne du monde. Je souhaite profondément que vive cette Europe sociale et humaniste.

Non, ne nous résignons pas à voir triompher, année après années, en Europe les forces les plus conservatrices qui divisent   là où nous devons unir.

Non, ne nous résignons pas à l’avidité des plus fort là ou nous devons protéger les plus  vulnérables .

Non, ne nous résignons pas aux préjugés et aux idées reçues là ou nous devons inventer et briser les dogmes dépassés.
Non, ne nous résignons pas au repli identitaire là où nous devons  regarder au-delà de la ligne d’horizon.

Oui, c’est notre mission historique, à nous socialistes européens, de retrouver notre unité, notre combativité, notre efficacité pour faire triompher ce social-humanisme du 21 ième siècle.

A nous de descendre de notre piédestal programmatique, de nos certitudes et d’un certain contentement de nous-même. C’est parce que nous serons lucides sur nous-mêmes  (« connais-toi toi-même » nous enseigne la philosophie grecque), oui lucides nous sommes plus forts.

Nous avons une bannière magnifique :  l’Internationale Socialiste, et George PAPANDREOU vient de nous le prouver une fois de plus si brillamment et je rends hommage au travail exceptionnel qu’il accomplit.

A nous d’utiliser cette devise qui porte en elle toutes les valeurs dont le nouveau siècle à besoin, devise de l’Internationale socialiste : «  Le courage de faire la différence ! »
C’est quoi faire la différence ?

C’est que l’esprit de paix l’emporte sur les conflits et les souffrances, que la justice sociale l’emporte sur l’injustice libérale, que la culture l’emporte  sur l’obscurité, que le respect l’emporte sur le racisme ordinaire , que la générosité de la vie l’emporte sur la brutalité qui humilie, que la cohésion l’emporte sur la division, que la fraternité l’emporte sur toutes les formes d’avarice.

Remportons la victoire sur nous-même, surmontons nos différences et engageons-nous pour cette Europe réconciliée avec son temps et surtout ses peuples.

Vous me permettrez enfin d’évoquer la figure d’Athéna, protectrice d’Athènes. Guerrière et sage, soutien des artistes et des maîtres d’école et qui, dans son combat contre Poséïdon fit jaillir un olivier pour nourrir Athènes là où Poséïdon sort des flots un cheval pour faire la guerre. Le roi décida que l’olivier était plus utile au bonheur de la cité.

Aujourd’hui encore cette histoire nous dit que combattre avec courage et protéger avec sagesse nous donnera la force de relever tous ces défis du progrès humain dans le nouveau siècle qui s’avance.

Alors faisons-le. Faisons-le n’est-ce pas ?

Nous sommes là, et bien là, pour le réussir !

Je vous remercie .

Ségolène Royal

Aucun commentaire: